Vendredi 29 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
La Sonate à Kreutzer de Tolstoï : Beethoven m’a tuer
mercredi 24 novembre 2010 à 12h12

Une nuit dans un train,  un homme qui a tué sa femme par jalousie, la croyant coupable d’adultère avec un violoniste, se livre à une confession hallucinée : c’est le sujet de La Sonate à Kretutzer, un des livres les plus célèbres de la littérature russe. Mais si l’œuvre continue à frapper, c’est par la franchise avec laquelle Tolstoï y parle de la misère sexuelle du mariage bourgeois. Le roman n’a rien perdu de sa force, surtout dans la nouvelle traduction de Michel Aucouturier qui arrive pour le centenaire de la mort de l’écrivain. C’est le Tolstoï ascète qui, après la grande crise spirituelle des années 1880, a l’idée de ce récit concis et taillé au scalpel. Tout à son dégoût du sexe (et des femmes), il prône la chasteté comme le remède aux maux du mariage : en copulant, nous ne sommes que des bêtes ; comment ne pas s’étonner que les rapports entre les sexes se soient envenimés ? Mais le plus fort, c’est que si ça ne dépendait que de lui, le narrateur (et Tolstoï ?) interdirait aussi la musique. Pour lui, faire de la musique, comme faire l’amour, est dangereux. Excitante, incontrôlable, la musique éveille la sensualité, fait naître de mauvaises pensées. Qu’y a-t-il de plus charnel qu’un couple formé par une  pianiste à la beauté troublante et un jeune violoniste en train de jouer du Beethoven ? : « Ils jouaient la Sonate à Kreutzer de Beethoven. Vous connaissez le premier presto ?... C’est une chose terrible que cette sonate… et en général, la musique est une chose terrible. Qu’est-ce que c’est ? Je ne comprends pas… Que fait-elle ?... On dit que la musique agit en élevant l’âme - sottise, mensonge… Prenons par exemple cetteSonate à Kreutzer. Est-ce qu’on peut jouer ce presto dans un salon, au milieu de dames en décolleté ? » Beethoven, ce n’est que de la pornographie… 

Cette nouvelle édition est complétée par trois textes moins géniaux, mais qui donnent une idée de la complexité de la vie familiale de Tolstoï : Romance sans paroles et A qui la faute, l’essai de réponse de sa femme Sofia, et surtout Prélude de Chopin, de Léon Tolstoï junior, la contre-thèse d’un fils qui n’a pas la même vision du sexe (ni de la musique) que son père.

Pablo Galonce

Léon Tolstoï, La Sonate à Kreutzer, nouvelle traduction et préface de Michel Aucouturier, suivi de A qui la faute et Romance sans paroles de Sofia Tolstoï et Le Prélude de Chopin de Léon Tolstoï fils. Editions des Syrtes, 370 pages, 22 euros. 

 

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