« La plupart des ténors vivent dans la hantise de perdre leur voix. Pas moi : je n’en ai jamais eu ». Fort de cette quiétude, Hugues Cuénod, qui vient de mourir à cent-huit ans, a chanté soixante-huit années durant, depuis ses débuts parisiens en 1928 jusqu’à ses adieux à Lausanne en 1994. Comme il était le fils d’un banquier suisse, il n’a jamais eu besoin de travailler. Il s’est donc diverti à faire de la musique : « J'aurais voulu qu'elle vienne tout droit en moi, sans que j'aie besoin d'apprendre quoi que ce soit », disait-il. Sa voix de trial (ténor bouffe) ne lui permettant pas de chanter les bellâtres, il s’est spécialisé dans la musique de son temps et dans les répertoires renaissant et baroque, lesquels, à l’époque, n’étaient pas à la mode. Il était de la création du Rake’s Progress de Stravinsky à Venise (1954), et s’est taillé un franc succès au festival de Glyndebourne dans La Calisto de Cavalli, où il incarnait une commère en travesti. Il a redécouvert Bach et Haendel avec Nadia Boulanger, mais s’est fait connaître du grand public anglo-saxon en jouant à Londres et New York dans le musical Bitter Sweet de Noel Coward. Il a beaucoup enseigné aussi : en 1980 à la Fondation Royaumont, où il animait une master-class sur la mélodie française, il participait le soir aux récitals improvisés par les élèves. Son grand succès : Nous voulons une petite sœur, avec la bouche en cœur, de Francis Poulenc et Jean Nohain. Toujours en avance sur son temps, il a été, en 2005, un des premiers Suisses à conclure un Partenariat enregistré (l’équivalent du PACS). Il avait cent-cinq ans.
François Lafon
Un livre : Jérôme Spycket : Un diable de musicien, Hugues Cuénod. Payot (1990) - Un CD : Cavalli, La Calistro, dir. Raymond Leppard. Decca (1970)
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