A l’Opéra Bastille, Bruckner (2ème Symphonie) et Schubert (8ème Symphonie « La Grande ») par Philippe Jordan et l’Orchestre maison. Un programme plus pensé qu’il n’en a l’air : au « second Beethoven » appelé de ses vœux par Wagner répond le chef-d’œuvre prophétique de celui qui n’osait se rêver en successeur de Beethoven. Surtout dans cet ordre (le cadet avant l’aîné), les similitudes apparaissent : divines longueurs (comme disait Schumann) chez l’un et l’autre, ressassement des thèmes, mouvement perpétuel brisé par de soudains éclats, de brusques changements d’atmosphère. Avec un orchestre selon ses vœux – fusion des timbres, larges respirations, attaques gommées « alla Karajan » - Jordan impose un Bruckner au long cours, exigeant, fatiguant presque. C’est pour mieux, après l’entracte, donner un Schubert déjà brucknérien là où nombre de chefs actuels, surfant sur la vague baroque, auraient tendance à regarder vers le passé, à alléger le son et le ton. Cette « Grande » Symphonie péremptoire, violente, contrastée, massive et ciselée en même temps, ferait pour un peu figure de provocation. Le charme viennois y est même réduit à la portion congrue. L’affirmation d’une contre-réforme, d’un retour au grand geste orchestral ? Le public qui applaudit entre les mouvements, fusillé du regard par les spécialistes, donne une réponse dérangeante mais sans ambiguïté.
François Lafon
Opéra National de Paris Bastille, 16 mai. Diffusion sur France Musique le 3 juin à 20h Photo © DR