Opéra contemporain (ou presque) au Palais Garnier : Lear d’Aribert Reimann. Presque classique plutôt : création à Munich en 1978, première parisienne (même lieu) en 1982. A l’époque, la salle se vidait par rangs entiers. Aujourd’hui, public sage devant cette adaptation du monument shakespearien commandé par Dietrich Fischer-Dieskau à Benjamin Britten d’abord, à ce compositeur (et occasionnellement son accompagnateur au piano) spécialisé dans la mise en musique des grands auteurs (Lorca, Strindberg, Kafka) ensuite. Pas tout à fait classique pourtant, dans la mesure où, pour être réputé inclassable, le style de Reimann avoue son âge, sans atteindre à l’atemporel : attendus ces clusters à la chaîne, ces déferlements orchestraux, et même ces références répétées à Britten dans les moments hypnotiques telle la mélopée d’Edgar - ténor montant au contre-ténor quand il joue le Pauvre Tom (audacieux, à l’époque) -, ou dans le parlé-à-peine-chanté du Fou, rappelant Puck dans Le Songe d’une nuit d’été. L’ensemble pourtant (d’où son succès : plus de vingt productions à ce jour) est à la hauteur d’un sujet devant lequel Berlioz, Debussy et Verdi ont déclaré forfait. Légère déception quant à la mise en scène de Calixto Bieito pour ses débuts parisiens : on redoutait un excès de trash, on a une nième illustration des théories de Jan Kott (Shakespeare notre contemporain – 1964) rapprochant les héros shakespeariens des clochards métaphysiques de Samuel Beckett. Direction sans bavures (Fabio Luisi) et chant impeccable en revanche pour ce répertoire où le cri et le parlando sont trop souvent des valeurs-refuges : grandiose trio Bo Skovhus (Lear) - Andrew Watts (Edgar) – Kor-Jan Dusseljee (Kent), dames à l’unisson, à peine handicapées par un jeu conventionnel (des mégères, mais pas que cela …) sans doute imposé – ou toléré – par le metteur en scène.
François Lafon
Opéra National de Paris, Palais Garnier, jusqu’au 12 juin. En différé sur France Musique le 18 juin Photo © DR