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Concerts & dépendances
Le Rhin japonais
vendredi 23 mars 2018 à 21h48
Un vent nouveau souffle sur l’Opéra du Rhin depuis l’arrivée d’Eva Kleinitz à la direction. Sur le modèle de l’Opéra de Lyon, Strasbourg présente désormais chaque printemps un festival, Arsmondo (c’est son nom) : l’« occasion de tourner notre regard, au-delà des frontières, vers d’autres continents ». Dépaysement garanti avec le Japon cette année, en compagnie des compositeurs Toshiro Mayuzumi, Toru Takemitsu et Toshio Hosokawa. Moins connu en Occident que son confrère Takemitsu, Mayuzumi (décédé en 1997) a en commun avec lui la passion pour la salle de concert et le cinéma – de Godzilla à Ozu, en passant par Mizoguchi, Imamura et Huston. Inspiré du roman éponyme de Mishima, Le Pavillon d’or, son opéra en trois actes fut une commande du Deutsche Oper de Berlin, en juin 1976. L’ouvrage a connu plusieurs productions, dont une reprise américaine, au New York City Opera dans une version chantée en anglais (Christopher Keene), en 1995. Pour sa création française, l’Opéra du Rhin donnait la version originale, en allemand, sur un livret cosigné du compositeur et de Claus H. Henneberg. 
Cette partition d’une durée d’une heure cinquante environ (la même que son enregistrement sur disque), méritait largement qu’un chef – Paul Daniel, qui la qualifie d’« éblouissement » – et un metteur en scène – le Japonais Amon Miyamoto, plus connu des scènes anglo-saxonnes – s’y attèlent afin d’en faire ressortir l’intensité de l’écriture, bien dans l’esprit des années soixante-dix (!), et les fulgurances d’un style qui se souvient de Berg (Wozzeck) comme de Britten (Peter Grimes)… et de Carl Orff. Une descendance, somme toute guère originale, si cette manière n’était transcendée, voire pervertie, par des études au Conservatoire de Paris dans les années cinquante et l’intégration d’éléments traditionnels japonais. Ceux-ci n’ont rien d’exotique mais dopent la partition, en particulier du côté des chœurs, très importants et privilégiant les voix féminines, qui participent activement à l’étrangeté prenante du rituel. L’opéra débute sur un maelstrom orchestral du plus bel effet, emporté par un large spectre sonore qu’on croirait dérivé de la Symphonie Nirvana, partition d’esprit « spectral » qui fit beaucoup pour la renommée du compositeur dans les années soixante. Le texte de Mishima met en scène un moine, ici Mizoguchi, être instable qui met le feu au célèbre Pavillon d’or, à Kyoto. La figure du paria, récurrente chez l’écrivain, est portée à son comble. Ce rôle écrasant est endossé par Simon Bailey, formidable baryton britannique, qui connaît son Wozzeck et son Peter Grimes sur le bout des doigts. À lui seul, il assure la quasi-totalité de la partition, les rôles secondaires étant plutôt restreints : celui du père (Yves Saelens), comme ceux de ses compagnons Tsurukawa (Dominic Große) et Kashiwagi (Paul Kaufmann). En revanche, le rôle muet du « double » de Mizoguchi figuré par un danseur, l’excellent Pavel Danko, ajoute une dimension irréelle et ô combien évocatrice au monde inquiet du héros. Dommage que chez Mishima les rôles féminins soient réduits à des clichés, de la mère (Michaela Schneider) à Uiko (Fanny Lustaud)… Avec une telle partition, si dramatique, si chargée, et qui se suffirait presque à elle-même, difficile d’ajouter des images : c’est pourtant ce que fait le metteur en scène Amon Miyamoto, illustrateur raffiné, qui dose en outre avec parcimonie la vidéo, et dont on retient avant tout l’habileté du mouvement qui s’écrase au final sur le basculement d’un immense panneau d’or.
Franck Mallet
 
21 mars, Opéra du Rhin, Strasbourg 
 
Prochaines représentations : Strasbourg, Opéra (21, 24, 27 et 29/03, 3/04), Mulhouse, La Filature (13 et 15/04). (photo © Klara Beck)
 
 

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