Aux Bouffes du Nord, The Raven (Le Corbeau), monodrame pour mezzo-soprano et douze musiciens d’après Edgar Poe. Une seule représentation, salle comble pour la mezzo Charlotte Hellekant - sculpturale, présence irradiante, timbre d’or sombre – et pour la musique néo-Darmstadt mêlée de tradition japonaise de Toshio Hosohawa. Un désespéré pleurant son amour perdu, un corbeau prédisant « nevermore » (jamais plus), une chanteuse-récitante ajoutant à l’étrangeté : le poème de Poe, connu en français dans les traductions de Baudelaire (« Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée … ») et de Mallarmé (« Une fois, par un minuit lugubre, tandis que je m’appesantissais, faible et fatigué, sur maints et curieux volumes de savoir oublié… »), rejoint le théâtre Nô, où les frontières sont moins nettes que chez nous entre l’humain, l’animal et le végétal. Interprétation impeccable de l’ensemble luxembourgeois Lucilin, mise en images efflorescentes du vidéaste Jan Speckenbach. Mais à trop illustrer, l’image rivalise avec la musique, elle-même ouvertement illustrative. Un match nul compensé par quelques éclairs d’étrangeté, comme cette porte fermée contre laquelle la chanteuse semble se dématérialiser.
François Lafon
Bouffes du Nord, Paris, 10 février Photo © Bohumil Kostohryz